Article reproduit par Nanou avec l'aimable autorisation du journal Le Quotidien |
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INTERVIEW
DE XAVIER BERTRAND, MINISTRE DE LA SANTE «On ne relâche pas les efforts»
Pour le Ministre de la Santé, Xavier Bertrand, le chikungunya occupe une place prépondérante sur son bureau. Au moins une fois par semaine, il aborde le dossier de l’épidémie, tant en ce qui concerne le traitement des malades que la lutte antivectorielle ou encore la recherche sur le virus. « Il n’est pas question de relâcher nos efforts » déclare Xavier Bertrand, dans une interview au Quotidien, associant la population, l’Etat et les collectivités dans cette lutte sans répit contre le moustique. Soucieux de transparence, il ne veut plus « aucune question sans réponse ».
- Quelle est votre réaction à ce chiffre stabilisé à 3.000 nouvelles contaminations par semaine ?
Xavier Bertrand : Il faut tout
d’abord dire haut et fort que l’épidémie n’est pas terminée. Ce nombre de
3.000 contaminations nouvelles par semaine est beaucoup trop élevé.
Certes, c’est beaucoup moins que les 46.000 que nous avons connus en
février. Mais souvenez‑vous qu’en décembre 2005, une inspection de l’IGASS
évoquait un scénario catastrophe avec 500 à 1.000 cas nouveaux par
semaine. Il n’est donc pas question de relâcher nos efforts. Le pic est
derrière nous, mais je refuse de dire, ou qu’on laisse croire, que
l’épidémie est passée. Il ne faut pas compter sur l’hiver austral pour
éradiquer l’épidémie. Il faut que nous ne comptions que sur nous-mêmes, et
profiter, justement, de cette période de l’hiver austral, pour accentuer
le combat contre le virus, et le moustique qui le transporte. « Aucune maladie infectieuse n’est bénigne » - Quelles mesures envisagez-vous de mettre en place pour éviter un redémarrage de l’épidémie ? - Il faut continuer la sensibilisation de la population. Il faut que tout le monde participe à la mobilisation pour la démoustication. Il s’agit d’une lutte sur le court, le moyen et le long terme. Je reçois régulièrement les parlementaires et les élus de la Réunion, c’est le discours que nous tenons. Je sais quelle a été la souffrance des personnes qui ont contracté la maladie. Mais je sais aussi que c’est avec la participation de la population, en plus de l’Etat et des Collectivités, que l’épidémie sera maîtrisée. La seconde chose, c’est le maintien, encore actuellement, d’un pont aérien pour répondre aux besoins. Nous continuons d’acheminer à la Réunion, mais aussi à Mayotte, les moyens humains et matériels. En troisième lieu, il y a la mobilisation sur la recherche. Je suis de très près les travaux de la commission Flahault, tant sur le traitement de la maladie, que sur la gestion de l’épidémie. - Comment la mortalité liée au chikungunya est-elle analysée ? - Lorsque l’épidémie a éclaté, j’ai souhaité que la plus grande transparence entoure cette crise. J’ai demandé que la mention chikungunya soit portée sur les certificats de décès de personnes contaminées. Aujourd’hui, on dénombre 213 familles endeuillées. Cela révèle qu’aucune maladie infectieuse ne doit être considérée comme bénigne. - Où en sont les recherches sur le chikungunya, notamment la collaboration avec les Américains ? - Ce sont plus que des contacts. Dès que j’ai appris que des études avaient été menées aux Etats-Unis sur un vaccin, j’ai rencontré le ministre-adjoint américain de la Santé. Toutes les informations que nous avons souhaité avoir nous ont été fournies. Les chercheurs américains nous ont remis 2.000 pages de travaux de recherches consacrées à ce vaccin. Il nous faut voir si, aujourd’hui, la souche est toujours utilisable en toute sécurité. Si toutes les données sont positives, des essais pourraient être lancés fin décembre 2006. Si les tests du vaccin se révélaient concluants, nous aurions alors gagné 4 à 5 années sur l’élaboration et la diffusion du vaccin. Toutefois, dans le même temps, l’Institut Pasteur continue à travailler aussi sur un vaccin, de manière à ce que nous ne soyons pas obligés de repartir de zéro, si les travaux menés avec les Américains n’aboutissaient pas. - Où en est-on avec la Nivaquine ?
Il s’agit d’un médicament, mais il est
inutile que les gens se précipitent sur ce produit. Son efficacité n’est
pas prouvée scientifiquement. Les recherches sont menées sur une molécule
et des tests doivent encore être effectués. Nous saurons début 2007 si ces
expérimentations sont concluantes. « Les risques sanitaires existent » - Peut-on considérer que le chikungunya est une maladie des pays en voie de développement qui a frappé une population européanisée ? - Je crois qu’aujourd’hui tout le monde doit porter une attention toute particulière à toutes les maladies infectieuses. Nous connaissons les risques liés au terrorisme, liés aux conflits ; il nous faut prendre en compte les risques sanitaires. C’est pour cela que j’ai souhaité l’installation à la Réunion d’un centre de recherches sur les maladies infectieuses, un centre à vocation régionale. J’ai également demandé à l’InVs une mission complète sur la veille sanitaire en France. Au niveau national, nous devons considérer ces risques sanitaires comme des priorités de santé publique. Ceci est d’autant plus valable que l’outre-mer français, dans son ensemble, est, de par sa situation géographique dispersée, encore plus sensibilisé à ces risques que la métropole. Je veux mettre tous les moyens en place, parce qu’en matière de maladies infectieuses, je ne veux plus aucune question sans réponse. C’est dans cet esprit que j’ai fait ouvrir à la Réunion les centres de détection de la maladie, et les études sur la transmission mère-enfant. Il faut également tout savoir des rechutes, qui n’en sont peut-être pas et des possibilités de nouvelles contaminations pour un même sujet. Il faut se convaincre que même si l’épidémie régresse, tout risque ne sera jamais totalement écarté. - Quelle prophylaxie faut-il mettre en place de manière pérenne ?
- Il faut déjà faire descendre l’épidémie à
un niveau régulier et acceptable. Il faut entretenir une démoustication
efficace et durable. Cela suppose la mise en place permanente d’une
logistique avec des personnels formés et une information permanente en
direction de la population. Mais il faut également des moyens plus
importants, susceptibles d’être activés très rapidement. « Dire les choses telles qu’elles sont » - Les élus locaux sont-ils suffisamment impliqués dans la lutte ? Je reçois régulièrement des élus de la Réunion et je les sensibilise à la question. - Avez-vous demandé une enquête sur d’éventuels dysfonctionnements qui auraient favorisé l’épidémie ? - L’heure est à la lutte contre l’épidémie. J’ai dit que, le moment venu, nous examinerions ce qui s’est passé et que tout se fera dans la plus grande transparence. Il ne faut pas perdre de vue qu’en décembre 2005, l’IGASS (inspection générales des affaires sanitaires et sociales), sur le terrain à la Réunion, parlait de catastrophe sanitaire à 500 ou 1.000 cas par semaine. On a vu ce qu’il en était quelques jours plus tard. La priorité n’est pas dans les recherches de responsabilités, la priorité c’est la lutte contre la maladie. - Pourquoi de tels écarts également à Mayotte ? (Le Quotidien de jeudi) - C’est moi qui ai demandé une enquête de séroprévalence à Mayotte. En janvier dernier, je me suis rendu dans cette île et, on m’annonçait alors 56 cas déclarés de chikungunya. Dans un dispensaire que je visitais, j’ai feuilleté moi-même un registre sur lequel la suspicion de maladie était fréquemment mentionnée. L’enquête de séroprévalence a démontré que plus d’un quart de la population a été contaminée. Et nous l’avons fait savoir. Je veux que les choses soient dites, telles qu’elles sont. - A quand votre prochaine visite dans l’île ? - D’ici la fin du mois.
Propos
recueillis |