Article reproduit par Nanou avec l'aimable autorisation du journal Le Quotidien

Le Quotidien de la Réunion du Vendredi 19 mai 2006

NIVAQUINE CONTRE CHIKUNGUNYA

 

         Les essais cliniques démarrent

 

  Les professeurs Antoine Flahault et Xavier de Lamballerie, membres de la Cellule nationale de recherche sur le chikungunya et la dengue, entourés de médecins locaux, ont détaillé hier les conditions des essais cliniques de la Nivaquine sur le chikungunya, qui peuvent commencer demain. 750 patients sont concernés par cette étude, dont les résultats sont attendus avant le mois d’août  

 

 «Extra ordinaire» : le docteur Philippe de Chazournes, président de l’association Médocéan, a détaché le mot avec insistance hier, pour qualifier le dispositif d’essais thérapeutiques de la Nivaquine sur le chikungunya, mis en place à la Réunion.

 Celui-ci présente en effet l’originalité d’associer des chercheurs hospitaliers, des organismes de recherche nationaux et des médecins généralistes libéraux de la Réunion. Un montage exceptionnel au niveau national où, contrairement aux pays anglo-saxons, « la recherche en médecine générale souffre de beaucoup de retard et d’isolement par rapport à la communauté scientifique », observe le professeur Antoine Flahault, coordonnateur de la Cellule nationale de recherche sur le chikungunya et la dengue.

 «Evidence scientifique»

 La démarche, pourtant, s’est imposée comme « une évidence scientifique indiscutable », tant les médecins de ville ont été, et demeurent, en tout première ligne dans l’épidémie de Chikungunya : « 97 ou 98% des patients infectés ont été vus par eux », souligne l’épidémiologiste. 

De son côté, le professeur Xavier de Lamballerie, virologue, pointe l’aspect « exceptionnel » de l’étude, dans la rapidité avec laquelle elle a été mise en place. C’est en effet il y a moins de quatre mois, fin janvier dernier, que son équipe du CHU de Marseille a démarré les premiers essais en laboratoire. 

Le parti a, d’emblée, été pris de tester des molécules déjà sur le marché, afin de gagner du temps. «Trouver de nouveaux antiviraux ne peut pas se faire en moins de dix ans, il était donc hors de question de se lancer exclusivement là-dedans, même si cette voie de recherche n’est pas écartée par ailleurs», a expliqué le spécialiste. 

Parmi quelque 150 molécules testées, c’est la chloroquine (Nivaquine) qui a révélé une « activité très significative » contre le chik. « On a beaucoup de chance que ce soit cette molécule, qu’on connaît bien, utilisée par des milliards de gens sur la planète. D’autres sont très toxiques ou assez peu utilisées ». 

Pour élaborer, ensuite, le protocole des essais thérapeutiques, « tous les critères administratifs et de qualité ont été respectés scrupuleusement, même si cela a posé des problèmes au niveau logistique », affirme le professeur de Lamballelrie. Les essais sont en particulier suivis par un comité d’éthique « indépendant ». 

Le virologue marseillais indique aborder cette nouvelle phase décisive, habité par trois sentiments. D’abord « la prudence : notre premier souci est de ne pas nuire au patient, en prenant les précautions habituelles des essais cliniques ». Ensuite « la modestie  : ce n’est pas parce qu’une molécule marche en laboratoire que c’est un médicament actif ». Enfin, « l’enthousiasme » de disposer d’une molécule à priori très peu toxique dans les conditions où on va l’utiliser ». 

Trois types d’essais vont être menés : l’un sur 250 patients en phase aiguë du chikungunya, afin de tester l’effet curatif de la Nivaquine ; un autre sur 500 personnes non malades, dans l’entourage des patients, pour tester son effet préventif ; un troisième enfin pour étudier les facteurs de risques liés au chikungunya. 

Environ 130 médecins généralistes sélectionnés par l’association Médocéan participeront aux essais. Une réunion d’information à leur intention est prévue ce soir dans l’Ouest. Les binômes, composés d’un enquêteur et d’un infirmier, qui interviendront également, on été formés cette semaine. 

Tout est donc prêt pour que les premières « inclusions » de patients dans les essais puissent avoir lieu « samedi matin [demain] ou lundi », indique le professeur de Lamballerie. 
 

Reprise des essais d’un vaccin 

Combien de temps les essais dureront-ils ? Tout dépendra de la courbe de l’épidémie, actuellement déclinante. « Dans le meilleur des cas, si tous les patients sont inclus dans les quinze premiers jours, les essais pourraient se terminer en quarante, quarante-cinq jours. Mais on a prévu un mois de plus dans l’hypothèse la plus pessimiste », avance le spécialiste marseillais. En clair, « si tout va bien, on aura la réponse dans le courant de « l’été » métropolitain, vraisemblablement avant août. 

Lui et ses confrères se refusent à tout pronostic sur les résultats de l’étude. « Les chemins de la thérapeutique sont pavés de molécules qui marchent en laboratoire, mais pas en thérapeutique humaine », rappelle le professeur Flahault. Cela n’empêche pas les chercheurs de se déclarer « raisonnablement optimistes ». 

Si les essais s’avèrent positifs, c’est-à-dire que la molécule est « vraiment efficace et tolérée », d’autres études « plus faciles » auront lieu dans la lancée pour déterminer « la posologie et la durée précises » du traitement. Rapidement suivront « des recommandations des sociétés savantes » pour les prescriptions médicales. 

Si, au contraire, les essais ne sont pas probants, « cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas essayer d’autres molécules », tente de rassurer le professeur de Lamballerie. Celles connues sont cependant moins actives que la chloroquine ; on peut envisager de les combiner ; mais en tout état de cause « ce sera plus lent ». 

Indépendamment des études sur la Nivaquine, d’autres recherches se poursuivent. En particulier celles d’un vaccin, qui serait précieux pour empêcher la survenue d’épidémie. 

Immunologiste de l’Inserm à Lyon, le docteur Vincent Lotteau indique que l’armée américaine a déjà testé « une forme vaccinale » sur l’homme, « avec des résultats prometteurs », mais qu’elle a arrêté il y a quelques années « pour des causes budgétaires ».

 

Une collaboration a été établie avec les Etats-Unis pour reprendre bientôt les essais. Comme la mise sur le marché d’un nouveau médicament, la mise au point d’un vaccin prend une dizaine d’années, dans le meilleur des cas, précise le spécialiste lyonnais. Et encore : « quand on a de la chance ; pour le virus de la dengue, les recherches ont démarré il y a plus de vingt ans ». 

Dans le cas du chikungunya, les chercheurs ont cependant l’espoir d’ « aller plus vite ».  
 

Hervé SCHULZ

Trois types d’essais 

Trois types d’essais vont être menés pour tester cliniquement l’efficacité de la Nivaquine sur le chikungunya.

- L’étude « CuraChik » vise à tester l’effet curatif. Elle concerne les patients âgés de 18-65 ans, en phase aiguë de chikungunya. « Il est important que ces patients consultent rapidement, dans les 48 heures suivant les début des symptômes » (fièvre et douleurs brutales aux articulations) insiste le docteur Sophie Journeaux, une généraliste qui participe à l’étude. C’est en effet « dans les quarante-huit premières heures qu’on pense qu’un médicament antiviral peut être efficace », explique le professeur de Lamballerie. 

Sous réserve que le patient ne présente aucune contre-indication (diabète, insuffisance rénale...), il lui sera proposé de participer à l’étude. S’il accepte, il recevra un traitement pendant une semaine par la Nivaquine ou un placebo (faux médicament, produit inactif). Ni lui, ni même son médecin ne sauront toutefois si les gélules sont de la Nivaquine ou du placebo : c’est ce qu’on appelle une étude « en double aveugle » ou « en double insu ». 

Au total, 250 patients participent à cette étude : 125 traités par la Nivaquine et 125 par le placebo. Pendant environ un mois, tous recevront la visite régulière d’un binôme composé d’un enquêteur et d’un infirmier (*) pour une prise de sang, un examen biologique et un questionnaire. 

- L’étude « PrévenChik » vise à tester l’effet préventif de la Nivaquine sur le chikungunya. Elle concernera deux personnes volontaires dans l’entourage de chaque patient inclus dans l’étude précédente – donc à priori des personnes plus exposées au chik -, soit au total 500 personnes. Celles-ci devront n’avoir jamais contracté le chikungunya dans les trois mois précédents, ce que vérifieront des examens biologiques. 

Toutes se verront également proposer un traitement, pendant une dizaine de jours, par la Nivaquine ou un placebo, sans savoir non plus duquel il s’agit. Elles recevront de la même manière la visite régulière d’un binôme enquêteur/infirmière. 

- L’étude « CatéChik » («Caté » comme «cas témoins») vise à «comprendre pourquoi certaines personnes ont contracté le chikungunya et d’autres sont restées indemnes», donc à examiner s’il existe des facteurs de risque liés à l’infection. 

Cette étude, par interrogatoire, concernera les 750 personnes participant à «CuraChik» et « PrévenChik». Elle va mettre à contribution d’autres disciplines que la virologie et l’immunologie : le questionnaire portera notamment sur la présence éventuelle, dans l’habitation, d’animaux domestiques ou de rats ; des vétérinaires viendront effectuer des prélèvements, des entomologistes déposer des pièges à moustiques ; un anthropologue pourrait également accompagner les équipes, espère le professeur Flahault. 

(*) Les responsables de l’étude recherchent encore une dizaine d’infirmiers pour former les binômes. Contacter le 0692.03.80.04

 

Gros Plan 

- Pas d’engouement pour la Nivaquine 

«Il n’est pas du tout habituel de communiquer sur des thérapeutiques avant qu’ils n’aient lieu» a souligné hier le professeur Flahault, évoquant la crainte des chercheurs que le public soit tenté d’utiliser la Nivaquine pour se soigner sans attendre le résultat de l’étude. 

«Ce serait un recul phénoménal, une grande perte de temps pour tout le monde et d’abord pour les malades si on se mettait à prescrire ce médicament sans une évaluation rigoureuse préalable. On ne saurait pas s’il est efficace, ni s’il est toléré et on ne connaîtrait ni la dose ni la durée», prévient le spécialiste. 

«Saboter cette étude serait un mauvais service à rendre aux Réunionnais mais aussi à des millions de gens» insiste le docteur Bernard-Alex Gaüzère (CHD Félix Guyon), en pointant les enjeux de ces recherches pour les nombreux pays d’Afrique et d’Asie, quasiment tous en voie de développement, dans lesquels sévit ou peut sévir le chikungunya. 

Pour être inclus dans les essais, les patients, malades ou non, ne doivent pas avoir pris préalablement de Nivaquine, ce que vérifieront des examens biologiques.