Article reproduit par Nanou avec l'aimable autorisation du journal Le Quotidien | ||
Le Quotidien de la Réunion du vendredi 09 juin 2006 |
||
CONFERENCE
SUR LA SURETE AERIENNE |
||
La Réunion pas à l’abri d’une attaque
terroriste |
||
Christophe Naudin, chercheur au département des recherches sur les menaces criminelles contemporaines, et Philippe Peseux, Commandant de bord chez Corsair, ont donné une conférence avant-hier sur la sûreté aérienne et aéroportuaire. Pour ces deux spécialistes la Réunion et la zone océan Indien en général ne sont pas à l’abri d’une éventuelle attaque terroriste. |
||
- Tout d’abord quelles sont les raisons de votre visite à la Réunion ? - Philippe Peseux : il se trouve que les Réunionnais ne peuvent pas toujours se déplacer sur Paris pour assister à ce genre de conférence que nous donnons assez régulièrement. A la demande des compagnies aériennes locales, on est donc venus jusqu’à vous. Demain, on pourrait aller à Maurice ou ailleurs. Cette question de sûreté aérienne concerne évidemment tout le monde. C’est ensemble qu’on parviendra à vaincre ce cancer qui nous ronge de plus en plus. - Votre visite dans l’île n’est donc pas liée à un quelconque risque qui planerait sur nos têtes ? - Christophe Naudin : pas particulièrement, même si la Réunion, comme les autres pays de la zone d’ailleurs, n’est pas à l’abri d’une attaque terroriste. Tout simplement parce que la Réunion est une très belle île et que c’est aussi la France. Il y a beaucoup d’occidentaux qui viennent ici et aujourd’hui on peut dire que ces mêmes occidentaux sont la cible privilégiée des groupes criminels. On a vu ce que les terroristes ont fait à Bali. Les Seychelles, Maurice, Rodrigues et Diégo Garcia sont des cibles intéressantes pour les terroristes. Tout d’abord parce que ce sont des cibles insulaires et que sans aller jusqu’à raser l’île on peut supprimer tout le monde. On a vu ce qu’une épidémie naturelle comme le chikungunya peut faire comme dégâts. Ne, parlons pas d’une attaque chimique ou biologique. Ce serait la catastrophe. - On peut penser que les attentats dramatiques du 11 septembre 2001 ont considérablement changé la donne. Est-ce qu’on a aujourd’hui affaire aux même groupe criminels d’hier et surtout aux mêmes méthodes ? - Christophe Naudin : Depuis 70 ans qu’il s’est déclaré, le terrorisme aérien a évolué au gré des conjonctures géopolitiques mondiales et des influences idéologiques dominantes. Face à cela, les mesures correctives sont basées sur l’expérience empirique et à posteriori. Alors que les organisations criminelles ont su s’adapter à tous les nouveaux dispositifs pour innover et frapper de plus en plus violement les esprits. En ce sens, les attentats du 11 septembre constituent une rupture mondiale. Ils ont démontré qu’il est impératif de bâtir de nouvelles modélisations de la prévention des actes illicites, basées sur les possibilités et capacités futures et non plus sur la lecture de l’évènement passé. - Philippe Peseux : Aujourd’hui ce n’est pas une bombe qui détruit l’avion, c’est l’avion lui-même qui devient une bombe. Les opérations sont coordonnées et préparées de longue date. Elles sont désormais réalisées par des personnes qui infiltrent les sociétés occidentales de l’intérieur. La notion de clandestinité a disparue. Les terroristes sont désormais intégrés à la société.
La sûreté, un métier complexe - Peut-on lutter contre ces formes émergentes de terrorisme, si oui comment ? - Christophe Naudin : La règle en matière de terrorisme est de surprendre. Aujourd’hui, dans le cadre du terrorisme aérien, nous avons basé l’ensemble de nos dispositifs sur la détection des armes à feu, des armes par destination.....Demain, les armes chimiques, bactériologiques ou radiologiques, que nous ne savons pas encore détecter dans un aéroport, seront utilisées. Il ne s’agit pas d’une hypothèse universitaire gratuite : c’est une certitude. La menace sera dès lors transcendantale. Nous allons progressivement vers un terrorisme de masse. - Philipp Peseux : Les armes que vient de nous citer Christophe Naudin ont beaucoup d’avantages : invisibles, quasi-indécelables par des agents de sûreté ou des policiers, elles ne modifient en rien le concept du sacrifice, et peuvent occasionner un résultat tout aussi spectaculaire. Leur invisibilité, et notre incapacité à les détecter sont propres à créer une terreur sans précédent pendant plusieurs mois. Les répercussions seraient énormes pour l’économie mondiale. - Alors que faire ? - Christophe Naudin : Le principe de sûreté des années à venir repose, à mon avis, sur cinq grands postulats. Il faut d’abord se dire que la sûreté est un vrai métier, tout aussi complexe que les autres spécialités aéronautiques. C’est avant l’embarquement que tout se passe, après c’est toujours trop tard, sauf exception. Troisièmement tout doit être basé sur le contrôle de la personne elle‑même et non sur les objets qu’elle transporte car ces objets ne viennent pas à commettre seuls des attentats. Si la sûreté est basée sur l’homme, il faut donc confier les responsabilités à des agents ou officiers dotés de compétences et à même de répondre et de contrer les réalités criminelles auxquelles ils sont confrontés. Enfin, j’estime que le paramètre social est incompatible avec la réalisation d’une mission régalienne. - Philippe Peseux : La sûreté est une discipline qui nécessite plus que jamais une réelle capacité d’anticipation, s’appuyant sur des connaissances techniques et scientifiques. Elle s’inscrit dans l’espace social et a besoin d’un soutien politique indéfectible afin d’appuyer des décisions aussi sévères qu’indispensables. - Christophe Naudin : Aujourd’hui, il ne faut plus seulement rechercher les outils des terroristes, mais véritablement les terroristes eux‑mêmes. L’ère du terrorisme artisanal est révolue. Grâce à un soutien logistique important, un terroriste qui franchit les portes d’une aérogare arrivera à ses fins. Professionnalisme, analyse et anticipation sont les clés d’une lutte efficaces contre ces tentatives de destruction.
Entretien :
Michel ZITTE |