Article reproduit par Nanou avec l'aimable autorisation du journal Le Quotidien

Le Quotidien de la Réunion du Lundi 04 septembre 2006

ENTRETIEN AVEC LE PROFESSEUR ANTOINE FLAHAULT
 
«On serait content d’avoir un vaccin»
 


Dans un entretien qu’il nous a accordé, le professeur Antoine Flahault, coordinateur de la cellule nationale de coordination des recherches sur le chikungunya, évoque les probabilités d’évolution future de l’épidémie, qui pourrait toucher encore 35% de la population mais sur plusieurs années, ainsi que les pistes thérapeutiques. S’agissant des essais cliniques de la Nivaquine, les résultats d’une étude intermédiaire devraient être connus pour la fin octobre. Quant aux essais de vaccin, ils pourraient débuter en fin d’année.

 

 

- Comment voyez-vous l’évolution à venir de l’épidémie de chikungunya ? 

- Les prévisions sont difficiles, et un des objectifs qui nous sont assignés est de mettre en place une « météo sanitaire ». Ces prévisions reposent à la fois sur des modèles mathématiques et sur l’expérience du passé. Cette dernière est relativement faible mais pas totalement nouvelle. Pour les épidémies de 2004 au Kenya, puis 2005 aux Comores, qui ont précédé celle de la Réunion, les études ont montré que les taux de séroprévalence atteignaient respectivement 75% et 63%. Cette souche du virus est donc très virulente et conduit à des taux d’attaque de 75%. 

Quant aux modèles mathématiques élaborés par plusieurs équipes, dont la mienne à l’Inserm, ils permettent de penser que tant que 75% de la population n’aura pas eu le chikungunya, le risque d’épidémie restera majeur. 

On attend les résultats de l’enquête de séroprévalence en cours pour savoir où on en est exactement. Mais si l’on se réfère aux résultats de la Cire, 40% de la population a déjà été atteint ; cela veut dire que le réservoir est encore de 35%. Donc tant que le virus circule et que les conditions de résurgence (pullulation du vecteur avec le démarrage de l’été), sont réunies, on peut penser que la probabilité de réémergence est maximale. Nos prévisions d’aujourd’hui, qu’on remet à jour chaque semaine, laissent penser que l’épidémie sera de faible ampleur : ce réservoir de 35% qui nous reste ne sera pas consommé en une fois mais sur plusieurs années. 

- Il ne faut donc pas s’attendre à une flambée comme on en a connu en début d’année ? 

- En restant évidemment très prudent car on n’a aucune certitude, on peut penser que 5 à 10% supplémentaire de la population réunionnaise sera touché cette année, et autant durant chacune des deux ou trois années à venir. 

Il est intéressant de se demander pourquoi aux Comores et au Kenya l’épidémie a eu lieu en une fois ? La seule explication possible réside dans l’impact de la lutte anti-vectorielle et l’utilisation des sprays ainsi que dans la moindre quantité des gîtes larvaires, liée au niveau de développement. Toutes ces mesures ne permettent pas d’éradiquer le problème mais permettent de l’étaler, afin d’arriver à mieux le gérer. On a supporté le choc de 35% de la population touché, ce qui remarquable ; mais on n’aurait pas pu supporter un choc à 75%. 

- Que deviennent les essais cliniques de la Nivaquine (l’étude Curachik), contrariés par le faible nombre de malades actuellement ? 

- On avait souhaité démarrer ces essais le plus rapidement possible à partir du moment où on disposait d’une molécule efficace en laboratoire ; mais on savait très bien qu’on était en période de fin d’épidémie. Aussi, même si on veut inclure 250 personnes, ce n’est pas une surprise si aujourd’hui on n’en a que 75. Dans le protocole de l’étude, il est prévu une analyse intermédiaire avec ces 75, tout en continuant les essais sur d’autres personnes. On devrait avoir les résultats pour le wek-end «Kass' Moustik», fin octobre (voir Gros plan).

 

«Aucun des patients traités sous placebo ou sous Nivaquine n’a encore fait un chikungunya, mais on ne peut en tirer aucune conclusion» 

Deux possibilités se présentent : soit, hypothèse optimiste, l’efficacité de la Nivaquine est nettement plus importante que prévu, et on arrive à conclure avec ces 75 personnes. Un comité indépendant décidera alors s’il faut arrêter les essais et si l’on peut proposer la Nivaquine comme traitement du chikungunya. Soit la Nivaquine ne montre pas de supériorité et il faudra continuer les essais le temps qu’il faudra pour atteindre le chiffre de 250 personnes. (Une troisième possibilité serait que la Nivaquine s’avère dangereuse mais ce n’est pas probable). 

- Et le volet préventif des essais : l’étude Prévenchik ? 

- Elle n’a porté pour le moment que sur une quarantaine de personnes alors qu’il en faut 500. Mais ce ne sont pas des essais qui pouvaient se terminer dans les temps impartis car il faut les pratiquer en pleine épidémie. On sait qu’aucun des patients traités sous placebo ou sous Nivaquine n’a encore fait un chikungunya mais on ne peut en tirer aucune conclusion. Là aussi nous avons prévu une analyse intermédiaire mais pour le moment nous n’avons pas assez de cas. 

- Où en est le projet de vaccin ? 

- Vous savez que les Américains ont déjà avancé dans un tel projet il y a quelques années avant d’arrêter pour des raisons budgétaires. Le ministre de la santé, Xavier Bertrand, s’est rendu aux Etats-Unis pour signer avec son homologue des accords de cession du vaccin aux équipes françaises. On est en attente de ces lots de vaccin. Ils seront transmis en vrac, sous la forme d’une poudre congelée qu’il faudra expertiser. L’AFSSAPS (Agence française  de sécurité sanitaire des produits de santé), exige en effet une batterie de tests préalables pour garantir qu’il n’y a aucune impureté dans le vaccin. 

C’est l’Institut Pasteur qui conduira cette « requalification », confiée à une entreprise sous-traitante pour être terminée au 15 novembre. Dans la foulée on conduira le reconditionnement du vaccin : sa mise en seringue, et on pourra procéder aux essais. C’est l’Inserm qui s’en chargera, très probablement avec l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille et sous le pilotage de la cellule nationale. Les essais auront lieu avec les médecins généralistes de l’île, vraisemblablement en décembre-janvier.

 

«Avec l’urbanisation il y aura des Aèdes dans Paris dans quelques années» 

On a prévu de les réaliser sur 300 personnes, 300 autres étant sous placebo. On sera très prudents dans la mise en oeuvre : on procédera par lots de patients, puis on attendra 15 jours. Il y aura une grande focalisation sur les effets secondaires éventuels, les patients seront suivis pendant six mois. Si tout va bien, on peut avoir terminé pour la saison suivante. Contrairement à ceux testés contre le West-Nile ou contre la dengue, il s’agit ici d’un vaccin très prometteur. Espérons que nous pourrons reproduire la magnifique histoire du vaccin contre la fièvre jaune. Il y a probablement des millions de cas de chikungunya en Inde actuellement et je serais de moins en moins étonné que le chikungunya remonte dans les régions septentrionales de l’Europe. Avec l’urbanisation, il y aura des Aèdes dans Paris dans quelques années. Face à cela, on se dit qu’on serait content d’avoir un vaccin. 

- La souche du virus est-elle stable, ou peut-elle muter facilement, comme pour le virus de la grippe par exemple ? 

- Le virus mute très peu. Il est très ancien (même si on ne l’a découvert qu’en 1953) et il n’y a aujourd’hui qu’un seul sérotype. En plus de cinquante ans, il a varié autant que le virus de la grippe en un an. 

- L’étude sociologique dont les résultats ont été livrés samedi montre qu’une partie de la population a ses propres croyances – sur les origines de l’épidémie, la transmission du virus.... Quelles réflexions cela vous inspire‑t‑il ? 

- Ces recherches permettent de quantifier cette proportion, ce qui est très important pour piloter la communication et les efforts d’explication de la communauté scientifique. Dans ces croyances, il y en qui ne sont pas loin du rationnel, comme celle du bateau en quarantaine. Après tout ce sont bien des bateaux qui, un jour, ont apporté des Aèdes albopictus, sans doute dans des pneus, et le virus est bien venu de quelque part. Cela ne donne pas lieu à sourire. Quant aux croyances de types mythiques (les agents de la CIA), elles sont liées au caractère des gens. Elles s’inscrivent aussi dans une culture et une communication sur le risque bioterroriste. On n’a pas à en sourire mais à le comprendre, y compris les histoires de transmission. Aucun de ces résultats ne me paraît d’un irrationnel inattendu. 

L’idée que les gens puissent penser qu’il y a une transmission directe du virus n’est pas absurde quand on sait qu’on a dit (notre cellule) aux gens que le chikungunya était une maladie nouvelle dont on ne connaissait pas grand‑chose. On ne peut pas empêcher les gens d’avoir leurs propres hypothèses. Quand ces hypothèses sont levées, il faut l’annoncer. C’est le rôle des médias, des scientifiques, des enseignants. 

- Où en est le projet de centre de recherches et de veille sur les maladies émergentes pour l’océan Indien ? 

- A travers ce centre, on voudrait que la Réunion (et sa région) puisse tirer profit de sa situation exceptionnelle pour attirer les chercheurs et les industriels de tous pays pour les recherches et le développement industriel dans le domaine médical. La médiatisation du chikungunya a produit un effet vitrine dont il faut avoir l’intelligence de tirer parti sur le plan économique. On a beaucoup avancé concernant l’infrastructure du centre, inscrite dans le plan Etat-Région 2007-2013, actuellement en pleine discussion, et qui sera bouclé à la fin de l’année. 

Le projet n’est pas encore arrêté mais je prédis que le montant va dépasser ce que nous avions demandé, et je suis ravi de voir que l’ensemble des organismes de recherche (Inra, Inserm, IRD, Pasteur, etc.) et des universités se mobilisent avec appétit et compétition. 

Par ailleurs, nous a avons demandé un budget européen pour conduire une mission de préfiguration dans l’ensemble des Etats de la Commission de l’océan Indien. Il s’agit de dresser l’état des lieux, comprendre les besoins et établir le cahier des charges de ce que sera le centre dans l’océan Indien. 

Construire une collaboration internationale efficace demandera du temps. La demande française de transparence est légitime mais il va falloir qu’elle s’accompagne d’une construction dans la confiance. Le problème des maladies émergentes est très sensible dans certains Etats en raison de leur économie. 
 

                                               Entretien : Hervé SCHULZ     

  

Un foisonnement d’études et grosse mobilisation des chercheurs
 

- Quelles sont les principales études en cours ou à venir, autour du chikungunya ? 

- Il y en a un foisonnement car on assiste à une grosse mobilisation des chercheurs. On peut citer d’abord les quatre études dans le cadre de PHRC (programmes hospitaliers de recherche clinique). Toutes sont pilotées par des chercheurs de l’île, avec des collaborations en métropole. 

L’une porte sur la mère et l’enfant ; une autre sur l’enfant est prévue en relais de notre étude sur la Nivaquine ; une troisième porte sur les rechutes, les formes chronique et la quatrième sur la physiopathologie, c’est-à-dire la compréhension de la maladie. 

Toutes sont financées sur des périodes assez larges : deux, trois ans ; mais probablement que l’étude mère-enfant va se prolonger. Nous essaierons de faire des points réguliers – ce serait intéressant de faire un bilan d’étape le week-end du 28-29 octobre, par exemple – sur l’avancement de ces études qui sont uniques, car il n’existe aucune donnée dans la littérature sur les thèmes traités. 

Toute la logique de la cellule nationale a été de refuser l’exception culturelle dans le domaine scientifique et d’ouvrir la compétition pour favoriser l’excellence. Pour le PHRC cela a été un grand succès car sur six projets présentés (sans aucune protection « chikungunya »), quatre ont été retenus. 
 

Appel d’offres national 

L’Agence nationale de la recherche a eu exactement la même démarche en lançant un appel d’offres national. Plusieurs projets ont ainsi été déposés dans le cadre du Mime (maladies infectieuses, maladies émergentes) – des projets très fondamentaux, de sciences dures. Quatre ont été retenus, ce qui est énorme, et vont être financés. 

Une quinzaine de projets ont également été déposés en Environnement et Santé, une thématique plus large. Mais j’ignore combien ont été acceptés ; on pourra sans doute l’annoncer fin octobre. 

Si des projets n’étaient pas sélectionnés mais correspondaient à des nécessités de recherche, on ouvrirait la compétition davantage à l’international. On se dit que si des chercheurs voient leurs projets recalés par des pairs, il faut soit revoir la copie, soit demander des collaborations, soit que d’autres équipes s’y intéressent. Il y a enfin les recherches en cours, sous la responsabilité de notre cellule. Là l’exception culturelle a joué car il ne fallait pas attendre. 

On a beaucoup tiré profit des essais Curachik et Préventchik pour mener des études combinées multidisciplinaires. Des prélèvement ont eu lieu sur 1.300 animaux (chiens, chats, cochons, oiseaux, lézards, etc.) ; ils vont être analysés dans peu de temps et permettront également d’étudier la leptospirose. 

Une entomologiste qui a déjà eu le chikungunya a servi d’appât pour faire du piégeage de moustiques. Pour le moment on en est à l’étape de collection. Des recherches sont également menées en sciences sociales.

 

Gros Plan

Week-end de mobilisation en octobre
 

Les deux cellules – nationale et locale – de coordination des recherches sur la maladie de chikungunya, organisent, les 28 et 29 octobre prochain, un week‑end de « mobilisation citoyenne » contre le chikungunya. Baptisée « Kass’ Moustik », cette manifestation verra notamment une vaste opération d’enlèvement des gîtes larvaires. Elle sera également l’occasion d’un nouveau bilan de la lutte contre l’épidémie, peut-être en présence du ministre la Santé, Xavier Bertrand.

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