Article reproduit par Nanou avec l'aimable autorisation du journal Le Quotidien | ||
Le Quotidien de la Réunion du 06 septembre 2006 |
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ENTRETIEN AVEC DIDIER FONTENILLE, ENTOMOLOGISTE
MEDICAL |
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Larves sous surveillance | ||
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Sachant que l’Aèdes pond des centaines d’oeufs durant sa courte existence, et que ces oeufs peuvent rester au sec plusieurs mois avant de donner naissance à des larves, la perspective de voir surgir des nuées de moustiques infectés « d’office », sans avoir eu à puiser dans un réservoir humain, fait plutôt froid dans le dos. La question fait partie des thèmes de recherche « d’urgence » sur lesquels la Drass et l’IRD planchent depuis quelques mois. Mais « on n’a pas encore la preuve que la transmission verticale existe pour le virus du chikungunya avec l’Aèdes albopictus », indique Didier Fontenille, entomologiste médical, directeur de recherche à l’IRD (unité 016, Montpellier). « On fait l’hypothèse que ça doit exister, en se basant sur d’autres transmissions verticales, par exemple pour le virus de la dengue avec l’Aedes albopictus et l’Aèdes aegypti ».
Toutefois les virus de la dengue et du
chikungunya n’appartiennent pas à la même famille (flavirius pour l’un,
alphavirus pour l’autre) ; ils n’ont pas à priori les mêmes facilités
d’infecter la descendance d’un albopictus, explique le chercheur. De toute
façon, « quel que soit le virus, la transmission verticale se fait souvent
à un taux extrêmement bas : quelques pour cent pour la dengue sur l’Aèdes
aegypti », précise-t-il.
Laboratoire de haute sécurité Pour vérifier leur hypothèse, les entomologistes utilisent deux méthodes. L’une consiste à capturer des larves sur le terrain et à regarder si elles sont infectées. L’autre se déroule dans le laboratoire de haute sécurité de l’Institut Pasteur, à Paris, et consiste à contaminer des moustiques puis à rechercher le virus dans leur descendance. La recherche du virus se fait, elle, soit sur culture cellulaire, au service de santé des Armées à Marseille, soit par biologie moléculaire, à Marseille également ainsi qu’au pôle 3P du Cirad, à Saint-Pierre. Les chercheurs, qui ont déjà travaillé sur plusieurs centaines de lots de larves, devraient être en mesure de communiquer leurs résultats d’ici à la fin octobre, annonce Didier Fontenille. Mais, autant que le phénomène biologique éventuel, ce sont ses conséquences épidémiologiques possibles qui les intéressent. Or, les prévisions qu’ils sont faites en utilisant des modèles mathématiques suggèrent que, si elle existe, la part de la transmission verticale n’aura certainement pas de grandes conséquences, parce que le virus continue à circuler », indique Didier Fontenille. « Si transmission verticale il y a, là où les oeufs seront contaminés, c’est là où le virus a déjà circulé, donc là où la population est déjà en grande partie immunisée », explicite le scientifique. Un autre travail de recherche « d’urgence » enclenché à porté sur la typologie des gîtes. Il a permis de mettre en évidence le nombre considérablement plus élevé de gîtes sauvages (dans le creux des rochers, de bambous..), dans l’Est – où l’on peut dénombrer « plusieurs centaines de gîtes sauvages sur 100 mètres de ravine », signale Hélène Delatte, chercheuse à l’IRD – que dans l’Ouest de l’île. En terme de lutte antivectorielle, cela implique des stratégies très différentes dans ces deux zones, même si la priorité reste toujours de protéger l’homme et donc de cibler les zones habitées, observe Didier Fontenille. « Contrôler les moustiques autour des maisons, on va y arriver ; mais contrôler les moustiques sauvages, ce sera extrêmement difficile. Il n’y a pas de solution miracle. Supprimer l’Aèdes albopictus de la Réunion est impossible », affirme le spécialiste. De multiples facteurs entrent en jeu dans une épidémie. Aussi les chercheurs concentrent-ils une grosse partie de leur travail sur la biologie des moustiques. Où sont-ils les plus abondants ? Où piquent-ils l’homme ? A quelle fréquence ? Quelle est leur durée de vie ? Autant de questions parmi d’autres sur lesquelles les entomologistes – à la Réunion et ailleurs –avaient bien jusqu’ici des « notions », mais auxquelles l’épidémie a rendu nécessaire d’apporter des réponses scientifiques. « On veut des faits, des résultats quantifiés ; pas des impressions », insiste Didier Fontenille. C’est à cette fin qu’un important programme de recherche en entomologie vient d’être lancé, qui associe IRD, Cirad, Drass, Institut Pasteur, Université. Plusieurs volets seront explorés : biologique, génétique, virologique, qui ensemble permettront de développer des modèles de risques épidémiologiques.
« Le chikungunya disparaîtra à la Réunion ;
mais l’île restera vulnérable à la dengue et à d’autres virus. On est
entré une ère où il faut réapprendre à vivre avec ces moustiques. Le plus
important maintenant, c’est d’empêcher que les gîtes se reconstruisent
autour des habitations. La lutte antivectorielle ne peut pas être
seulement institutionnelle : à 80%, elle repose sur la population »,
insiste Didier Fontenille. Hervé SCHULZ
L’Aèdes albopictus n’est pas le seul moustique présent à la Réunion, loin de là puisqu’on recense 12 espèces de moustiques dans l’île (contre 35 à Mayotte et plus de 200 à Madagascar). Parmi elles, certaines peuvent elles aussi transporter des agents pathogènes : le parasite du paludisme pour l’Anophèle, ou encore le virus du Nil occidental, déjà présent à Madagascar, pour le Culex. Un des tout premiers travaux de recherche lancé à l’arrivée de l’épidémie a permis d’affirmer avec certitude que l’Aèdes albopictus était bien le vecteur du chikungunya à la Réunion. En Inde, en revanche, où sévit également une épidémie qui aurait touché plus d’un million de personnes, le vecteur est l’Aèdes aegypti, indique Didier Fontenille. L’Aèdes albopictus, qui a réussi à faire pratiquement disparaître de l’île son cousin l’Aèdes aegypti, est aussi vecteur du virus de la dengue. « Il l’a été pour la grande épidémie de 1977-78 et il le sera encore à la Réunion, c’est sûr. Quand ? Ça, on ne le sait pas », indique le chercheur de l’IRD. Aussi importe-t-il de maintenir les moustiques sous des seuils qui limiteront l’ampleur des épidémies. « Pour cela, il faut disposer d’un réseau efficace : avoir des entomologistes médicaux, renforcer la recherche – très importante car elle permet d’orienter les décisions, renforcer la surveillance, renforcer le domaine opérationnel », insiste Didier Fontenille.
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