Article reproduit par Nanou avec l'aimable autorisation du journal Le Quotidien

Le Quotidien de la Réunion du Mardi 12 septembre 2006

ENQUETE SOCIOLOGIQUE A VUE-BELLE
 
Un Lycée à l’heure du chikungunya
 


Un professeur agrégé d’EPS, Dominique Durand, a mené une double enquête sociologique au lycée professionnel de Vue-Belle. Il en tire des enseignements sur les connaissances et l’attitude face au chikungunya qui, estime-t-il, pourraient inspirer une action au niveau de l’académie.
 

 

 

Effaré des conséquences désastreuses de l’épidémie de chikungunya pour la Réunion et convaincu que l’île est loin d’en avoir terminé avec le virus, Dominique Durand, professeur agrégé d’EPS au lycée professionnel de Vue‑Belle, a organisé, en mai dernier, deux enquêtes sociologiques approfondies au sein de son établissement. 

« L’Education nationale a (...) des missions évidentes d’information, de formation et d’adaptation à l’épidémie dont les relais sont tous les établissements publics locaux d’éducation (EPLE) de l’île.

« A ce titre, le lycée se devait de connaître la façon dont il avait été touché par l’épidémie afin de pouvoir décider d’une politique de réaction à cette crise sanitaire sans précédent dès la prochaine rentrée scolaire », argumente l’enseignant, dont les travaux, terminés en juin et présentés le 2 septembre à la Faculté des Lettres lors d’une journée sur les sciences et le chikungunya, ont été accueillis avec intérêt par les membres des cellules nationale et locale de coordination des recherches ; ils ont aussi été envoyés à la Préfecture, au Rectorat et à la communauté scientifique.  

La première enquête visait surtout à connaître la situation sanitaire exacte du lycée ; elle s’est adressée à l’ensemble des 1.000 élèves et 210 personnes adultes. 77% des premiers mais seulement 30% des seconds ont répondu à un questionnaire. 

Premier résultat : si elle montre un taux de lycéens et adultes touchés (36%) proche de la moyenne régionale à la même époque (mai 2006), l’enquête révèle que « le chikungunya ne frappe pas tous les milieux avec la même égalité » : les élèves issus des milieux défavorisés sont proportionnellement plus contaminés. 

« Il y a un rapport direct entre la classe sociale et le risque de contracter le chikungunya », énonce Dominique Durand. Cette conclusion rejoint celle du sociologue Michel Setbon qui, dans une étude également rendue publique le 2 septembre, avait dressé un portrait‑robot du chikungunyé (*). 

Un peu moins d’un jeune sur cinq concerné n’a pas confirmé son chikungunya par un médecin alors que chez tous les enseignants un diagnostic médical a été posé. Outre qu’elle est justifiée par les atteintes souvent plus sévères chez les adultes, « chez les enseignants, la consultation médicale s’explique aussi par la nécessité d’avoir un arrêt maladie », observe Dominique Durand. 

A propos d’une question sur la nature des symptômes, l’enseignant relève que « la particularité de cette maladie est la facilité avec laquelle un profane peut faire le diagnostic ». 

Et de souligner au passage la « bonne foi » des élèves dans le questionnaire. « Nous sommes persuadés que les élèves ont répondu de façon vraie comme les enseignants ; ce n’est ni un acte de bravoure, ni une honte d’avoir eu le chikungunya, c’est simplement un état de fait avec la notion de chance et de malchance qui ressort... ». 

Chez les victimes du chikungunya, une majorité d’élèves (54%) et d’enseignants (59%) a raté moins d’une semaine de cours. En revanche 18% des enseignants contre 9% des élèves sont restés indisponibles pendant plusieurs semaines, ce qui confirme que les atteintes du chik sont plus problématiques quand on est plus âgé », relève l’auteur de l’enquête.

 

Absentéisme scolaire 
 

Cependant, « l’absentéisme scolaire n’est pas un élément d’appréciation valide sur l’état sanitaire de la population scolaire » et « le retour en classe n’est pas synonyme pour autant de guérison », prévient Dominique Durand : « au lycée Vue Belle, 36% des chikungunyés sur l’année scolaire 2005‑2006, ne s’est pas soldé par 36% d’absentéisme en plus ». 

Concernant les connaissances sur la maladie, l’auteur s’inquiète de constater que 12% des jeunes et 7% des adultes ne citent pas le moustique comme vecteur de transmission. 

Quant à la prévention, 82% des adultes déclarent se protéger, contre seulement 51% des lycéens. 

La seconde enquête sociologique, qui s’est déroulée sous forme de jeu, avec des lots à gagner, également en mai, a porté sur la représentation de la maladie et à la connaissance du moustique. 

Pour les questions, on avait cette fois le choix entre trois réponses proposées. A la question de savoir quel avait été le plus grand nombre de cas déclarés en une semaine depuis le début de l’épidémie, pas moins de 37% des adultes et 33% des élèves ont répondu 7.000. 

« On peut interpréter que cette sous-estimation de la maladie entraîne probablement une attitude plus négligente dans la lutte personnelle ou familiale contre le moustique », analyse l’auteur. Le chiffre réel (47.000 cas, la première semaine de février) « est tellement énorme que l’ignorer dans la proportion d’un tiers interroge sur les actions à mener pour faire prendre conscience ». 

De même, 30% des lycéens (et 11% des adultes) pensent qu’une personne malade peut désormais contaminer un moustique « tout le temps » ; 15% des lycéens et 7% des adultes pensent qu’elle peut le faire pendant « un mois ». 

Des réponses « inquiétantes », commente Dominique Durand, « parce que si l’on pense que l’on peut transmettre sa virémie au moustique tout le temps ou un mois, cela signifie clairement que quand on est malade, on ne fait plus d’effort pour se protéger puisque cela ne sert à rien ». 

Autant de constats qui, espère l’auteur, devraient permettre de mieux orienter la communication et la lutte contre l’épidémie, notamment dans les établissements scolaires.

 

                                                                  Hervé SCHULZ                         

(*) Le Quotidien du dimanche 3 septembre. 

 

Le rectorat jugé trop passif

 

Pour Dominique Durand, il ne fait pas de doute que, face à une épidémie qui reprendra certainement, l’Education nationale doit participer plus activement à la lutte. 

« Pour l’instant, le rectorat organise la sécurité passive, c’est à dire extérieure à l’individu, comme l’airbag dans une voiture ; elle consiste à démoustiquer régulièrement les établissements et interdire les sorties sur les lieux infectés, note-t-il. Mais les missions de l’Education nationale ne sont pas seulement la transmission du savoir ; elles sont aussi éducation et formation ; face à une crise majeure qui touche la santé publique, il est étonnant qu’on n’ait pas encore eu de consignes dans ce sens ». 

Soulignant que « la population scolaire est une mine de données non utilisées pour l’instant », l’enseignant suggère dans son étude d’utiliser le questionnaire employé à Vue-Belle dans les autres établissements, particulièrement les collèges, qui recrutent dans leur proximité directe.

 

« Il existe une sorte de fatalisme »
 

« Peut-être trouverions-nous des zones atteintes à 80%. Le renseignement serait plus qu’intéressant, puisque les virologues nous disent que c’est le pourcentage à atteindre pour que la maladie s’éradique d’elle-même », note‑t‑il en prévenant que « l’absentéisme scolaire n’est pas un élément suffisant d’appréciation ». 

Dominique Durand fait aussi remarquer que jusqu’ici, malgré les efforts de communication et de démoustication déployés par les pouvoirs publics, « la population reste plutôt passive ». 

« Il existe une sorte de fatalisme montré par l’enquête ; si l’on pense que l’on peut attraper le chikungunya plusieurs fois ; si l’on pense que les protections ne sont pas aussi efficaces que cela, on ne se situe pas dans un état d’esprit dynamique pour lutter contre le chik, observe-t-il.  Probablement que les établissements scolaires ont un rôle à jouer dans la formation des jeunes et par ricochet de leur famille afin de modifier cet état d’esprit ». 

« L’idée que les élèves puissent devenir des « agents » de lutte contre la maladie au sein de leur famille et dans leurs quartiers où il représentent souvent le degré d’instruction le plus élevé me semble particulièrement pertinente », appuie pour sa part Roger Rudant, proviseur du lycée Vue‑Belle.

 

Gros Plan

Surprotéger les malades

Pour Dominique Durand, la première raison de la diffusion exponentielle du chikungunya tient à la sous‑protection des malades, alors que ceux‑ci sont, pendant la semaine que dure la virémie, les réservoirs de virus auxquels s’approvisionne le moustique. « Il faut surprotéger les malades », insiste l’enseignant ; ce qui consiste, pendant quelques jours, à faire dormir la personne sous moustiquaire, la « surhabiller » (pantalon, chausssettes, chemise à manches longues) et à « utiliser des répulsifs à haute dose ». Une attitude qui n’est autre qu’un geste d’ « amour », à la différence de la « quarantaine », que certaines personnes voudraient voir instaurer et qui, en dehors de la difficulté d’organisation, serait source potentielle d’ostracisme, estime l’enseignant.
 

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