Article reproduit par Nanou avec l'aimable autorisation du journal Le Quotidien
 
 

Le Quotidien de la Réunion : Lundi 10.04.06

 Une grande enquête sur le net
 

Un chercheur de l’Inserm (institut national de la santé et de la recherche médicale) et le site chikungunya.net collaborent pour lancer un observatoire épidémiologique en ligne sur chikungunya.


En lançant, début janvier, le premier site Internet entièrement dédié au chikungunya, Jean-Hugues Mausole, un informaticien d’origine réunionnaise installé à Paris, ne s’attendait sans doute pas à obtenir autant de succès. 

Mais rapidement www.whikungunya.net, d’abord à travers son forum, puis surtout grâce à sa « foire aux questions » (FAQ) alimentée par un spécialiste de médecine tropicale, s’est imposé comme une référence sur la question. Alors que la FAQ regroupe à ce jour plus de 500 questions/réponses sur les aspects les plus divers liés à la maladie et au moustique vecteur, le site s’engage dans un nouveau projet original : la création d’un observatoire épidémiologique en ligne, coordonné par un chercheur de l’Inserm (institut national de la santé et de la recherche médicale), Laurent Toubiana. 

Baptisé malicieusement Sirius (Système interactif de recueil d’informations universel et de surveillance), en référence à « l’étoile la plus brillante du ciel », cet outil utilise un questionnaire téléchargeable dont la version définitive, après une semaine de mise au point, est disponible en ligne depuis vendredi soir. 

Imprimée, cette déclaration remplit deux feuilles de format A4. Outre des renseignements d’état civil, elle comprend des questions sur les symptômes, la douleur, les prescriptions médicales, mais aussi les antécédents, les habitudes alimentaires, la rechute éventuelle, la persistance de la maladie, la démoustication et la protection individuelle. 

Au total, pas moins de 182 items à remplir, pour lesquels les protagonistes de cette enquête visant à « mieux connaître et appréhender les causes et les conséquences » du chikungunya comptent s’appuyer sur des « observateurs agréés » : des malades eux-mêmes, mais aussi des membres de leur famille, des travailleurs sociaux, des soignants, etc.

En somme, des personnes physiques ou morales « qui surveillent une zone (une ville, un département ou un pays) et qui enregistrent les cas de chikungunya via Internet, après les avoir éventuellement recueillis sur formulaire papier ou par téléphone », est-il expliqué sur le site. 

« Beaucoup plus qu’une enquête, c’est une véritable surveillance épidémiologique appelée à durer ; c’est l’équivalent d’un réseau sentinelle », commente Jean-Hugues Mausole, joint par téléphone. 

Laurent Toubiana, un spécialiste des systèmes d’information en épidémiologie qui travaille au laboratoire de biostatistique et d’informatique médicale à la faculté de médecine René Descartes (université de Paris 5), s’est rapproché le mois dernier  de l’informaticien parisien après avoir réalisé l’ampleur de l’épidémie de chikungunya à la Réunion. 

« Il avait déjà mené ce genre de projet en métropole cet hiver pour la grippe et a récolté 200 000 informations en dix-neuf semaines », affirme M. Mausole. Selon lui, le chercheur a d’abord contacté le grand groupe pharmaceutique avec lequel il avait travaillé pour la grippe ; mais le laboratoire s’est désisté en réalisant qu’il n’existe encore ni vaccin ni médicament contre le chikungunya. 

L’épidémiologiste a également sollicité l’Institut de veille sanitaire, lequel aurait opposé une « fin de non recevoir ». Instruit par l’échec d’une précédente tentative, de sa part, d’observatoire épidémiologique à la Réunion, en 2001, à cause des réticences des « syndicats de médecins et des politiques », il aurait finalement choisi de se passer d’instances « officielles » rapporte Jean-Hugues Mausole. 

Ce dernier, en revanche, a accepté avec enthousiasme de soutenir ce projet ambitieux – et sans doute aussi un peu « passionnel » observe un médecin -, au nom de la « démarche citoyenne » qui l’anime depuis le début. 

Si M. Toubiana est chercheur à l’Inserm, cet organisme n’a pas pour autant validé le projet, ce qui lui donnerait notamment la nécessaire assise financière dont il aura rapidement besoin. Mais M. Mausole espère bien engranger assez vite un volume de données suffisant pour permettre une première enquête et convaincre l’Inserm de la pertinence d’un observatoire qui, souligne-t-il, se veut « mondial » : l’internet n’a pas de frontières, non plus que le Chik, présent en Afrique et en Asie. 

                                                                                              Hervé SCHULZ

  Un site animé bénévolement

 « L’indifférence quasi générale » dont pâtit l’épidémie de Chikungunga à la Réunion a aujourd’hui disparue, Mais Jean-Hugues Mausole continue à l’invoquer, dans la page d’accueil de son site, pour expliquer ce qui l’a poussé à lancer, le 8 janvier dernier, chikungunya.net. 

Agé de 44 ans, marié et père d’une petite fille, ce Bénédictin d’origine installé à Paris depuis vingt-six ans, a cessé son activité de consultant en informatique indépendant pour se consacrer à plein temps à son site. 

La « foire aux questions », riche aujourd’hui de 305 questions/réponses, dont s’occupe en permanence un spécialiste de médecine tropicale (le Docteur Bernard-Alex Gaüzère, du CHD Félix Guyon), lui a valu de rencontrer un succès qu’il n’aurait jamais osé imaginer. 

« Au plus fort de l’épidémie, le site recevait 5.000 visiteurs et 10.000 visites par jour » indique-t-il. Si le chiffre a aujourd’hui baissé à un  millier de visiteurs par jour, l’informaticien parisien s’attend à ce que le nouveau projet d’observatoire épidémiologique auquel il s’est attelé avec le chercheur de l’Inserm, absorbe une bonne partie de son temps. « Il y aura énormément de travail pour traiter les informations » prévoit-il.

Jean-Hugues Mausole ne s’attend donc pas à pouvoir reprendre de sitôt son activité professionnelle. Depuis trois mois, son site l’occupe à plein temps. Il s’y consacre bénévolement. « Non seulement je ne gagne pas d’argent, mais en plus j’en dépense, confie-t-il. Je bosse deux fois plus qu’avant et je vis sur le salaire de ma femme ».

Lui qui a toujours refusé de recourir à la publicité, il dit y penser aujourd’hui. Il a également créé une « Association des victimes de l’épidémie de chikungunya » (AVEC) dont une partie des cotisations et dons qu’elle recueillera sera destinée à financer le site.

Jean-Hugues Mausole reste cependant prudent sur l’avenir à moyen ou long terme de sa démarche. Comme lui a dit un médecin, « quand l’épidémie va baisser, on risque de se retrouver tout seuls ».

                                                                                                             H.S.